définir la philosophie

Publié le par maryse.emel

 

« La philosophie, telle que je l’ai vécue, telle que je l’ai entendue jusqu’à présent, c’est l’existence volontaire au milieu des glaces et des hautes montagnes - la recherche de tout ce qui est étrange et problématique dans la vie, de    tout ce qui, jusqu’à présent, a été mis au ban par la morale. Une longue expérience, que je tiens de ce voyage dans tout ce qui est interdit, m’a enseigné à regarder, d’une autre façon qu’il pourrait être souhaitable, les causes qui jusqu’à présent ont poussé à moraliser et à idéaliser. »

 Nietzsche

 

« Il est bien des merveilles en ce monde, il n'en est pas de plus grande que l'homme.  Il est l'être qui sait traverser la mer grise, à l'heure où soufflent le vent du Sud et ses orages, et qui va son chemin au milieu des abîmes  que lui ouvrent les flots soulevés. Il est l'être qui tourmente la déesse auguste entre toutes la Terre,  la Terre éternelle et infatigable, avec ses charrues qui vont chaque année la sillonnant sans répit, celui qui la fait labourer par les produits de ses cavales. Les oiseaux étourdis, il les enserre et il les prend,  tout comme le gibier des champs et les poissons peuplant les mers, dans les mailles de ses filets,  l'homme à l'esprit ingénieux. Par ses engins il se rend maître  de l'animal sauvage qui va, courant les monts, et, le moment venu, il mettra sous le joug et le cheval à l'épaisse crinière et l'infatigable taureau des montagnes. Parole, pensée vite comme le vent, aspirations d'où naissent les cités, tout cela, il se l'est enseigné à lui-même, aussi bien qu'il a su, en se faisant un gîte,  se dérober aux traits du gel ou de la pluie, cruels à ceux qui n'ont d'autre toit que le ciel.  Bien armé contre tout, il ne se voit désarmé contre rien de ce que lui peut offrir l'avenir. Contre la mort seule,  il n'aura jamais de charme permettant de lui échapper, bien qu'il ait déjà su contre les maladies les plus opiniâtres imaginer plus d'un remède.     Mais, ainsi maître d'un savoir dont les ingénieuses ressources dépassent toute espérance, il peut prendre ensuite la route du mal tout comme du bien.  Qu'il fasse donc dans ce savoir une part aux lois de sa ville et à la justice des dieux, à laquelle il a juré foi !  Il montera alors très haut dans sa cité, tandis qu'il s'exclut de cette cité le jour où il laisse le crime le contaminer par bravade.
Sophocle Antigone

 

 

Difficile de la définir, même si on recourt à l'étymologie pour la définir. http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/36/Rembrandt_Harmensz._van_Rijn_038.jpg/350px-Rembrandt_Harmensz._van_Rijn_038.jpg

philo-sophie: amour de la sagesse

Ce qui se traduit par un mythe chez Platon: celui de la naissance d'Eros, dans Le Banquet:

 

Quand Aphrodite naquit, les dieux célébrèrent un festin, tous les dieux, y compris Poros, fils de Métis. Le dîner fini, Pénia, voulant profiter de la bonne chère, se présenta pour mendier et se tint près de la porte. Or Poros, enivré de nectar, car il n'y avait pas encore de vin, sortit dans le jardin de Zeus, et, alourdi par l'ivresse, il s'endormit. Alors Pénia, poussée par l'indigence, eut l'idée de mettre à profit l'occasion, pour avoir un enfant de Poros : elle se coucha près de lui, et conçut l'Amour. Aussi l'Amour devint-il le compagnon et le serviteur d'Aphrodite, parce qu'il fut engendré au jour de naissance de la déesse, et parce qu'il est naturellement amoureux du beau, et qu'Aphrodite est belle.http://www.ac-reims.fr/editice/images/stories/philosophie/aphrodite.jpg

Etant fils de Poros et de Pénia, l'Amour en a reçu certains caractères en partage. D'abord il est toujours pauvre, et, loin d'être délicat et beau comme on se l'imagine généralement, il est dur, sec, sans souliers, sans domicile; sans avoir jamais d'autre lit que la terre, sans couverture, il dort en plein air, près des portes et dans les rues; il tient de sa mère, et l'indigence est son éternelle compagne. D'un autre côté, suivant le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon; il est brave, résolu, ardent, excellent chasseur, artisan de ruses toujours nouvelles, amateur de science, plein de ressources, passant sa vie à philosopher, habile sorcier, magicien et sophiste. Il n'est par nature ni immortel ni mortel; mais dans la même journée, tantôt il est florissant et plein de vie, tant qu'il est dans l'abondance, tantôt il meurt, puis renaît, grâce au naturel qu'il tient de son père. Ce qu'il acquiert lui échappe sans cesse, de sorte qu'il n'est jamais ni dans l'indigence ni dans l'opulence, et qu'il tient de même le milieu entre la science et l'ignorance, [204] et voici pourquoi. Aucun des dieux ne philosophe ni ne désire devenir savant, car il l'est; et, en général, si l'on est savant, on ne philosophe pas ; les ignorants non plus ne philosophent pas et ne désirent pas devenir savants; car l'ignorance a précisément ceci de fâcheux que, n'ayant ni beauté, ni bonté, ni science, on s'en croit suffisamment pourvu. Or, quand on ne croit pas manquer d'une chose, on ne la désire pas.

Traduction Émile Chambry, 1922

 

Retenons le détour par le mythe, l'image, pour définir la philosophie.Quand  Platon recourt au mythe, c'est souvent par souci pédagogique (rendre sensible, imagée, une idée complexe, difficile) ou parce que le dialogue est aporétique. La philosophie serait difficile à définir puisque Socrate dans ce dialogue semble n'y comprendre rien, et en même temps la définition qu'en donne Diotime relève pour sa compréhension, relève d'un jeu d'enfant, comme elle le dira.  La philsophie serait ainsi la figure du paradoxe, du problème comme le suggère la réaction de Socrate au récit de Diotime.

 

 

Descartes à son tour définit la philosophie par une comparaison :

http://lelivrelibre.free.fr/adam_et_eve.jpg

 


« Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale, j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse. Or comme ce n’est pas des racines, ni du tronc des arbres, qu’on cueille les fruits, mais seulement des extrémités de leurs branches, ainsi la principale utilité de la philosophie dépend de celles de ses parties qu’on ne peut apprendre que les dernières. » Lettre-Préface Principes de la philosophie

 

Cependant Descartes se méfie des images, source d'erreur selon lui...Ce qui ne l'empêche pas de recourir régulièrement à des comparaisons imagées.

 

Paradoxe?

Merleau Ponty écrit:

 

 

«  On dit que le temps passe ou s’écoule. On parle du cours du temps. L’eau que je vois passer s’est préparée, il y a quelques jours dans les montagnes, lorsque le glacier a fondu ; elle est devant moi à présent, elle va vers la mer où elle se jettera. Si le temps est semblable à une rivière, il coule du passé vers le présent et l’avenir. Le présent est la conséquence du passé et l’avenir la conséquence du présent. Cette célèbre métaphore est en réalité très confuse. Car, à considérer les choses elles-mêmes, la fonte des neiges et ce qui en résulte ne sont pas des événements successifs, ou plutôt la notion même d’événement n’a pas de place dans le monde objectif. Quand je dis qu’avant hier le glacier a produit l’eau qui passe à présent, je sous-entends un témoin, assujetti à une certaine place dans le monde et je compare ses vues successives...Le temps n’est donc pas un processus réel, une succession effective que je me bornerais à enregistrer. Il naît de mon rapport avec les choses. »

 

certes la métaphore a ses limites, mais on notera toutefois qu'elle est souvent employée à défaut de..

Si on revient sur la question de l'étonnement, l'émerveillement, comme point de départ de la philosophie, chez Platon ou Aristote, ce souci disparaît des textes de Descartes ou du moins semble disparaître:

 

 

René Descartes (1637) La Dioptrique
(Discours de la Méthode)
Toute la conduite de notre vie dépend de nos sens, entre lesquels celui de
la vue étant le plus universel et le plus noble, il n'y a point de. doute que les
inventions qui servent à augmenter sa puissance ne soient des plus utiles qui
puissent être. Et il est malaisé d'en trouver aucune qui l'augmente davantage
que celle de ces merveilleuses lunettes qui, n'étant en usage que depuis peu,
nous ont déjà découvert de nouveaux astres dans le ciel, et d'autres nouveaux
objets dessus la terre, en plus grand nombre que ne sont ceux que nous y
avions vus auparavant : en sorte que, portant notre vue beaucoup plus loin que
n'avait coutume d'aller l'imagination de nos pères, elles semblent nous avoir
ouvert le chemin, pour parvenir à une connaissance de la Nature beaucoup
plus grande et plus parfaite qu'ils ne l'ont eue. Mais, à la honte de nos scien-
ces, cette invention, si utile et si admirable, n'a premièrement été trouvée que
par l'expérience et la fortune. Il y a environ trente ans, qu'un nommé Jacques
Metius de la ville d'Alcmar en Hollande, homme qui n'avait jamais étudié,
bien qu'il eût un père et un frère qui ont fait profession des mathématiques,
mais qui prenait particulièrement plaisir à faire des miroirs et verres brûlants,
en composant même l'hiver avec de la glace, ainsi que l'expérience a montré
qu'on en peut faire, ayant à cette occasion plusieurs verres de diverses formes,
s'avisa par bonheur de regarder au travers de deux, dont l'un était un peu plus
épais au milieu qu'aux extrémités, et l'autre au contraire beaucoup plus épais
aux extrémités qu'au milieu, et il les appliqua si heureusement aux deux bouts
d'un tuyau, que la première des lunettes dont nous parlons, en fut composée.
Et c'est seulement sur ce patron que toutes les autres qu'on a vues depuis ont
été faites, sans que personne encore, que je sache, ait suffisamment déterminé
les figures que ces verres doivent avoir. Car, bien qu'il y ait eu depuis quantité
de bons esprits, qui ont fort cultivé cette matière, et ont trouvé à son occasion
plusieurs choses en l'Optique, qui valent mieux que ce que nous en avaient
laissé les anciens, toutefois, à cause que les inventions un peu malaisées
n'arrivent pas à leur dernier degré de perfection du premier coup, il est encore
demeuré assez de difficultés en celle-ci, pour me donner sujet d'en écrire. Et
d'autant que l'exécution des choses que je dirai doit dépendre de l'industrie des
artisans, qui pour l'ordinaire n'ont point étudié, je tâcherai de me rendre
intelligible à tout le monde, et de ne rien omettre, ni supposer, qu'on doive
avoir appris des autres sciences.
Si la philosophie est étonnement, émerveillement devant le monde, elle n'est pas hébétude, stupeur stupide, mais interrogation réveillée, inquiétude au sens étymologique, c'est à dire non-repos, éveil,
autre nom du désir, comme le dit ce texte de Leibniz:

« L'inquiétude (uneasiness en anglais) qu'un homme ressent en lui même par l'absence d'une chose qui lui donnerait du plaisir si elle était présente, c'est ce qu'on nomme désir. L'inquiétude est le principal, pour ne pas dire le seul aiguillon qui excite l'industrie et l'activité des hommes; car quelque bien qu'on propose à l'homme, si l'absence de ce bien n'est suivie d'aucun déplaisir ni d'aucune douleur, et que celui qui en est privé puisse être content et à son aise sans le posséder, il ne s'avise pas de le désirer et moins encore de faire des efforts pour en jouir. Il ne sent pour cette espèce de bien qu'une pure velléité, terme qu'on a employé pour signifier le plus bas degré du désir, qui approche le plus de cet état où se trouve l'âme a l'égard d'une chose qui lui est tout à fait indifférente, lorsque le déplaisir que cause l'absence d'une chose est si peu considérable qu'il ne porte qu'à de faible souhaits sans engager de se servir des moyens de l'obtenir. Mais, pour revenir à l'inquiétude, c'est-à-dire aux petites sollicitations imperceptibles qui nous tiennent toujours en haleine, ce sont des déterminations confuses, en sorte que souvent nous ne savons pas ce qui nous manque, au lieu que dans les inclinations et les passions nous savons au moins ce que nous demandons, quoique les perceptions confuses entrent aussi dans leur manière d'agir, et que les mêmes passions causent aussi cette inquiétude ou démangeaison. »

Leibniz
définir la philosophie

La philosophie est démangeaison, Socrate était comparé à un taon qui vous "pique" sans que vous n'y preniez garde, ou à un poisson-torpille qui endort l'esprit de l'interlocuteur...

Laid, pareil à un Silène, il cherchait le beau, le bon et le bien.

« Alcibiade : (…) je déclare qu'il est tout pareil à ces silènes qu'on voit exposés dans les ateliers des sculpteurs, et que les artistes représentent un pipeau ou une flûte à la main ; si on les ouvre en deux, on voit qu'ils contiennent, à l'intérieur, des statues de dieux"Platon Le Banquet 215a

Comparer Socrate à un Silène est en fait flatteur. Alcibiade le rapproche des Dieux...

Le philosophe est l'inspiré, le bacchant de la conscience de soi. La connaissance est le soulèvement, l’élan de l’esprit qui s’enivre de lui-même. C’est pourquoi dans le Banquet (215a et s.) Alcibiade compare successivement Socrate à Silène puis à Marsyas, tous deux suivants de Dionysos. La pensée, comme la danse orgiaque, est une expérience de la transe : mais tandis que la possession dionysiaque abandonne l’âme à l’inconscience et au vertige, la réflexion philosophique l’illumine au contraire dans la clarté de la conscience de soi. Comme le montre l’épilogue du Banquet, seul Socrate peut boire infiniment sans sombrer dans l’inconscience.

Jacques Darriulat

La philosophie est expérience du vertige..retournement, déséquilibre, perte des repères.

Mais elle est aussi de ce fait acte de création de soi dans ce mouvement incessant de ce que l'on peut nommer liberté...

Ainsi la philosophie nous mène-t-elle avant tout à l'authenticité...

Publié dans philosophie

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